17 janvier 2019, ma fin du monde.
- Parents.S.J
- 9 juin 2020
- 5 min de lecture
Texte écrit par Léa
Ça fait déjà 12 semaines que je te porte en moi. 12 semaines pendant lesquelles papa et moi nous imaginons le futur avec toi et visualisons ta naissance prévue pour le mois d’août.
À ce stade-ci, il n’y a que nous qui remarquons mon petit ventre. Nous le flattons le soir, devant le miroir en s’imaginant le mini bout d’humain qui se cache à l’intérieur. Nous n’avons pas encore fait ta connaissance, mais tu nous fais bien sentir ta présence en provoquant des nausées, des étourdissements et une immense fatigue.
On se fait souvent dire d’attendre la fin du premier trimestre avant d’annoncer la bonne nouvelle pour éviter des situations malaisantes advenant le cas où tu ne serais pas bien accroché. On est conscients des risques mais bon, ça arrive toujours aux autres…
De toute façon, à quel point peut-on être « prêts » à une épreuve que nous n’avons jamais vécue ni même de loin ?
Donc, à quoi bon attendre quand, à 7 semaines, arrive le temps des fêtes qui semblait pour nous l’occasion idéale d’annoncer ma grossesse à notre famille réunie? Ce temps des fêtes est ponctué de nausées mais surtout de réactions très positives de nos proches.
Le début de la grossesse se passe lentement. Nous mourons d’impatience d’avoir ce premier rendez-vous et d’aller à ta rencontre. Arrive enfin le 17 janvier. Ce matin-là, je suis fébrile, la journée sera spéciale!
Je rencontre celle qui suivra ma grossesse. Elle me remet une pile de documentations et on prévoit un petit calendrier du déroulement des prochains rendez-vous. On parle de dépistage de la trisomie 21, on prend déjà des décisions à ton sujet.
La fin de la rencontre est l’occasion d’écouter ton petit cœur. J’avais déjà lu beaucoup de témoignages de mamans qui disaient ne pas l’avoir entendu au premier rendez-vous, mais comme je suis déjà à 12 semaines, on a de très bonnes chances!
Le doppler se dépose sur mon ventre froid. Nous n’entendons rien. L’instrument se déplace, une bonne dizaine de minutes. Des minutes qui s’écoulent lentement et qui me paraissent une éternité puisque nous n’entendons toujours que le silence. Mon médecin tente de nous rassurer. Elle a des points d’interrogation dans les yeux, mais elle nous dit que tu dois être mal positionné, que nous te verrons à l’échographie. Elle nous envoie d’ailleurs la passer le jour même en voyant les larmes se déverser sur mes joues.
Nous sortons du bureau sans dire un mot. Dans la voiture, la panique s’empare de moi. Je suis complètement figée. Puis, j’ai un regain d’espoir en voyant défiler une tonne de témoignages sur mon téléphone que je tiens d’une main tremblante. C’est certain, je ferai partie de ce pourcentage de femmes qui ont dû attendre l’échographie pour voir le petit cœur clignoter.
Quelques heures plus tard, nous sommes dans la salle d’échographie. Couchée sur la chaise, les yeux rivés sur l’écran, prête à être soulagée. C’est un grand cercle noir et vide qui apparaît. Nous cherchons, nous cherchons toujours. On dirait que nous ne voulons pas en venir à une conclusion tout de suite. J’ai envie de crier « Vous voyez bien qu’il n’y a rien! » pour arrêter ce moment pénible. On nous donne encore de l’espoir. Peut-être qu’avec une échographie invasive, un petit être apparaîtra. Les chances sont très minces. Nous acceptons, nous n’avons rien à perdre et tout à gagner.
Le verdict tombe : ton cœur n’a jamais commencé à battre. Mon corps n’a pas fait le lien que la grossesse s’était arrêtée, peut-être après 5 semaines, et a continué de produire les hormones. On nous a dit mot pour mot «Vous n’avez rien à y voir, c’est une badluck. Désolé.»
…Un coup de poignard.
C’est très difficile d’expliquer ce qu’on ressent à ce moment-là. On sent nos jambes ramollir, tout semble arrêter de tourner. C’est la fin de notre monde.
Nous ne voulons rien savoir des histoires racontées par notre entourage, sans mauvaise intention de leur part, pour nous consoler. Nous ne voulons pas entendre que la belle-sœur de notre ami, elle, a fait 3 fausses couches. L’histoire de la mère de l’arrière-grand-mère de ta collègue qui a eu 10 enfants, dont 2 mort-nés, nous ne voulons pas nous y comparer. Nous ne voulons pas se faire dire qu’on est « encore jeunes, qu’on a le temps ». Nous avons beau savoir que le corps est bien fait et que notre fœtus aurait eu trop de problèmes s’il s’était développé, mais en ce moment, nous nous en foutons complètement. Nous voulons simplement avoir des oreilles pour nous écouter et des bras pour nous serrer très fort.
Une semaine passe. Une semaine, c’est long quand on est physiquement enceinte, mais qu’on sait que ça s’est arrêté. Nous ne regardons plus mon petit ventre dans le miroir de la même façon. Nous ne voulons plus le voir. Maintenant que ma tête connaît la situation, mon corps commence à vouloir y mettre fin lui aussi. Des crampes, puis encore des crampes jusqu’au rendez-vous, question de se rappeler à chaque minute ce qui arrive.
...
La journée du curetage a été vécue comme une libération. Oui, parce qu’après avoir gobé la nouvelle, tout ce que nous voulions, c’est d’enlever toutes traces de cette grossesse sur mon corps.
Outre l’épreuve physique et la chute d’hormones soudaine, mon moral en a pris un sale coup. J’ai passé des soirées à déverser toutes les larmes de mon corps et beaucoup de journées à avoir de l’énergie seulement pour mon travail, mon échappatoire. Avec l’aide de mes proches, j’ai décidé de me prendre en main et d’aller consulter. Je voulais me sortir la tête de l’eau pour continuer à vivre, au lieu de survivre. C’est aujourd’hui une décision dont je suis fière…
Alors, ne laisse pas les histoires d’horreur des autres t’enlever le droit de vivre ta propre tristesse. Peu importe la gravité de l’épreuve, il n’y a pas de comparaison à faire. Il va toujours y avoir une histoire pire que la nôtre. Nous avons chacun notre histoire et on doit se donner le droit de vivre nos souffrances, d’en prendre conscience et de faire les actions nécessaires pour nous permettre de nous en sortir, un jour. Je crois que si je n’avais pas plongé au cœur de ma tristesse, j’en traînerais des séquelles plus importantes aujourd’hui.
À vouloir enfouir nos épreuves loin en nous, on risque de traîner un boulet invisible. Écoutez-vous et si vous en sentez le besoin, allez chercher de l’aide. Il n’y a pas de honte. La santé mentale, ça vaut tout l’or du monde. Un dernier mot : espoir. Tout fini par passer.


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