Pour toi, ma Blanche
- Parents.S.J
- 21 févr. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mai 2020
Texte écrit par Anne-Émilie Jalbert
Ma douce Blanche,
Tu es arrivée, contre toutes attentes, le 28 octobre 2015. Nous ne t’attendions pas avant plusieurs semaines encore. Dans la salle d’accouchement, on est confiant : généralement, vers 35 semaines, les bébés rentrent à la maison dans les délais normaux ou après quelques jours. Pas toi. Toi, tu arrives au monde comme un bébé beaucoup plus jeune. Tu arrives dans l’urgence d’un cœur qui faibli trop pour attendre. Tu arrives dans l’urgence de la détresse respiratoire.
Ma petite funambule, tu n’as pas su garder un parfait équilibre à tes débuts. Aussitôt née, on t’amène et on revient un peu plus tard pour me dire que tes poumons sont malades, que tu as besoin d’aide et que tu ne pourras ni respirer, ni te nourrir seule. Moi, ta maman, je ne pourrai pas te prendre ni te nourrir. Pas maintenant. Ce premier contact tant attendu, cette première rencontre dont tout le monde parle et qui semble si naturelle et importante, nous ne les aurons pas. Moi, ta maman, je ne pourrai pas te prendre, je ne pourrai même pas te voir, ou à peine quelques secondes. Quelques secondes. Juste assez de temps pour m’excuser de t’avoir laissée sortir trop tôt.
Ton transfert aux soins intensifs est imminent. L’équipe de transport du CHUL est là et tu pars, sans moi. On me conduit seule dans ma chambre où l’incompréhension m'envahit. L’infirmière sort sans un mot, mais dans un immense malaise, le petit lit où tu aurais dû dormir, tout près de moi. On me donne un Ativan pour m’aider à passer la nuit. Une première nuit qui n’a plus aucun sens, car malgré mon ventre vide, je n’ai pas de bébé dans les bras. C’est le lendemain matin que je franchis les portes d’un monde dont la veille encore je connaissais à peine l’existence. Ce monde, tu y resteras pendant 5 semaines. 5 semaines de hauts et de bas, d’espoir et de découragement, de bonnes et de mauvaises nouvelles.
Quand je te rencontre enfin, je ne comprends pas. Je ne peux pas te prendre, je ne peux que te toucher par les trous de ton isolette. Poser doucement ma main sur toi sans te flatter, pour ne pas faire mal à ta peau fragile. Constater que ton corps, de tes fesses à la base de ta tête, entre entièrement dans ma main. Tu respires grâce à un cpap qui cache ton visage. Ton joli visage, que je n’ai qu’entrevu la veille. J’aurais voulu le voir, le caresser, le couvrir de baisers. Tant de fils sur ton corps si petit, tant de bruits, tant de gens qui s’affairent autour de toi. Moi qui dans toute ma naïveté pensais que je venais te chercher, je réalise finalement que l’unité de néonatologie est ta première maison et que tu y resteras quelques temps.
Mon monde s’écroule. Bien que tous me disent que tout va bien, que tu t’accroches, que tu vivras, je suis envahie par l’irrationnelle peur de te perdre. Je ne vois que les fils, les machines, les lumières rouges qui s’allument, les infirmières qui accourent et réajustent ton niveau d’oxygène, qui te stimulent quand tu arrêtes de respirer ou que ton cœur perd sa cadence, qui prennent ta pression, qui te font des prises de sang, qui changent ta couche, qui te nettoient… J’entends des alarmes, j’entends des mots que je ne comprends pas, j’entends le bruit assourdissant de mes larmes et de mes peurs, mais je ne t’entends pas pleurer. Quand on te pique, ton visage se crispe, mais aucun son ne sort de ton petit corps fragile. Tu es fatiguée d’un accouchement trop difficile pour toi, fatiguée de ton début de vie précipité. Dors mon bel amour. Je reste à tes côtés.
Après deux ou trois jours de vie, on t’enlève le cathéter ombilical qui te nourrit et on te pose un tube de gavage. Vient alors une question qui me fait l’effet d’une gifle : «Est-ce que maman a du lait?» Non, maman n’a pas de lait… Maman n’est même pas en mesure de fournir aux 3 heures les 5 ml nécessaires à te nourrir. Dans ma gorge, une boule immense prend toute la place. Même si avec tes 4 livres, tu es le plus gros bébé de la salle 42, tu me sembles si fragile… Je dois parvenir à te nourrir. C’est difficile l’allaitement. Encore plus sans un bébé pour le stimuler. Mais, je dois y arriver. Pour toi, pour nous.
Pendant 5 semaines, tu t’accroches, tu te bats. Nous nous battons ensemble. Et, nous gagnons. Depuis ta naissance, nous avons finalement réussi à écraser toutes mes peurs. Elles avaient plusieurs noms mes peurs… Elles s’appelaient : maladie des membranes hyalines, détresse respiratoire, suspicion d’infection fœtale, pneumonie, jaunisse, anémie, basse pression, perte de poids, désaturation, bradycardie, hémangiome parotidien, leucomalacie périventriculaire du prématuré, hypotonie… Le 1er décembre 2015, nous te ramenons enfin à la maison, prêts à affronter les nouveaux défis et les suivis qui nous attendent. À jamais, je serai marquée par cette épreuve. Elle m’a aidé à grandir et être plus forte. Elle m’a fait vivre ce que la plupart des parents ne comprendront jamais et je crois aussi qu’elle m’aura rendue meilleure. Grâce à toi.
Tu sais, ma douce Blanche, être la maman d’un bébé prématuré, c’est d’avancer à tâtons dans un monde inconnu. C’est d’entendre chaque jour des mots nouveaux et dont on ignore le sens, mais qui font peur. C’est d’espérer que le téléphone ne sonne pas durant la nuit. C’est de regarder à travers une vitre un bébé relié à la vie par tant de fils, qu’on ose à peine le toucher. C’est d’avoir le cœur qui arrête quand on entend dans l’intercom : «code rose, néonat». Peu importe que ce ne soit pas pour notre bébé, on sait que tout près, une maman pleure et on pleure avec elle. Être la maman d’un bébé prématuré, c’est de verser des larmes de peine et d’angoisse, plutôt que des larmes de joie et de bonheur. C’est de tenter d’être heureuse de la naissance de son enfant, mais d’en être incapable tant le sentiment de culpabilité est grand. C’est de tenter de se sentir mère, malgré l’insondable sentiment d’incompétence.
Mais, être la maman d’un bébé prématuré, c’est aussi apprendre la résilience lorsqu’on est confronté à l’épreuve d’une vie. C’est de sentir la force jaillir en nous au moment où on croit qu’il n’y en a plus. C’est de célébrer chaque victoire, si petite soit-elle. C’est de se réjouir d’une journée sans désaturation, d’une machine enlevée, d’un fil retiré. Mais, par-dessus tout, être la maman d’un bébé prématuré, c’est d’être témoin aux premières loges de la force de la vie.
Aujourd’hui, plus de quatre ans après ton arrivée précipité, je te regarde grandir et t’émerveiller un peu plus chaque jour. Je m’émeus de constater que malgré tes débuts difficiles, il ne reste de ta prématurité que ta force de caractère et ton urgence de vivre.


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